Lactalis est le bouc émissaire de la crise laitière

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Philippe Grégoire, producteur laitier à Chanzeaux (spaceMaine-et-Loire) et président du Mouvement national des éleveurs de nos régions (Mner).

Pourquoi avez-vous manifesté devant la coopérative Terrena alors que la FNSEA se mobilisait contre Lactalis sur le prix du lait ?

Parce que les groupes coopératifs Sodiaal, Terra Lacta, Agrial, Laïta (alliance des branches laitières de Triskalia, Even et Terrena) ne font pas mieux. En 2015, en Bretagne et Pays de la Loire, Lactalis a payé 308 € les mille litres, contre 307 € chez Sodiaal. En Basse-Normandie, Lactalis a payé 321 € et Agrial 317 €. Enfin, Terra Lacta a versé à ses producteurs 298 €. En 2016, Lactalis annonce un prix de base annuel moyen de 275 €. Laïta, sur les huit premiers mois, est à 277 € pour son volume A. Ça va se jouer dans un mouchoir. Le moins disant n’est pas Lactalis. Lactalis sert de bouc émissaire. Certes, Lactalis ne se comporte pas comme un industriel raisonnable et respectueux de ses producteurs. Mais ce n’est pas le pire.

Quelles sont, selon vous, les causes de la crise laitière ?

Le problème numéro un, c’est la surproduction européenne. Le deuxième problème, ce sont les organisations de producteurs (OP) : elles sont verticales, c’est-à-dire rattachées aux laiteries, et n’ont aucun pouvoir pour négocier les prix. La facturation reste entre les mains de l’acheteur. Enfin, la moitié de la collecte française est assurée par des coopératives en cogestion avec la FNSEA, de telle sorte qu’on ne manifeste pas, on ne met pas la pression sur les coopératives.

Vous êtes très virulent contre les coopératives et contre la FNSEA. Pourquoi ?

La FNSEA revendique un prix du lait à 34 centimes le litre. Ce n’est pas assez. Il manque une centaine d’euros au producteur pour vivre. Elle est comblée par les heures de travail non rémunérées, la main-d’œuvre familiale non déclarée et les cultures de vente (sauf cette année) qui bouchent les trous. La FNSEA s’aligne sur le prix qui permet aux coopératives d’être compétitives sur les marchés d’exportation. Si le prix monte au-dessus, les coopératives ne pourraient survivre à cause de leurs choix stratégiques passés désastreux et de leur forte dépendance aux produits industriels. La cible des manifestations a été Lactalis parce que les coopératives ont du mal à tenir leurs parts de marché. Les coopératives ont une forte responsabilité dans la crise parce qu’elles rémunèrent leurs sociétaires selon le système des volumes et des prix différenciés A et B. Le volume B correspond à des prix plus bas et à des rallonges qui ajoutent du lait sur un marché en surproduction.

Quelles solutions préconisez-vous ?

L’urgence, c’est de bloquer les encours de prêts pendant dix-huit mois. Tous les jours, pour boucler les fins de mois, des producteurs demandent à leur banque des ouvertures de crédit de 30 000 à 50 000 €. Si l’État prend en charge le gel de ces prêts, ils commenceront à rembourser dans dix-huit mois, avec un étalement sur cinq ans.

Et sur le fond ?

Il faut que l’Union européenne adopte une régulation obligatoire des volumes de lait. Le plan de réduction volontaire est un début, mais il n’est pas suffisant. Sans gestion des volumes, on n’arrivera à rien. Il faut revoir à la baisse les niveaux de production des contrats et supprimer le double prix-double volume des coopératives. Il faut que les producteurs adhèrent à des OP transversales, par bassin de production et non pas par laiterie. Le France milk board est un exemple d’OP transversale, reconnue par le ministère de l’Agriculture.

Pourquoi les organisations de producteurs transversales ont-elles du mal à se mettre en place ?

Les gens n’adhèrent pas parce qu’ils ont peur de leur transformateur. L’industriel, c’est le patron. Si le producteur veut installer son fils et veut 100 000 litres supplémentaires, il doit garder une relation individuelle avec sa laiterie. Bruno Le Maire, l’ancien ministre de l’Agriculture de Nicolas Sarkozy, a mis la charrue avant les bœufs : les laiteries ont forcé la main aux producteurs pour qu’ils signent. Aujourd’hui, il s’agit de réécrire les contrats pour donner pouvoir de négociation à des OP transversales.

Par Xavier BONNARDEL pour Ouest France